L'homme moderne est seul, bien seul...

Etendant ses bras en tous sens par dessus cette mer ceinturant un continent encore inconnu, cela même de ses plus fiers autochtones, le port d'Efyioo allouant ses pontons à des légions de navires tous aussi resplendissants que différents, d'architecture comme de pavillon, offrait une vision des plus splendides, sous les coups d'une étoile frappant la mer jusqu'à ce qu'elle en scintille tel un saphir porté à l'oeil percé par les rais du jour. Quoique le tumulte qui y résidait allié à l'insalubrité de certaines zones pouvait contraster avec cette beauté, je me félicitais de pouvoir en apprécier d'autant la grandeur, ce même contraste contribuant à donner à cette aire un cachet agréablement familier, que les foyers à catins humains dont ils avaient fait leurs mégalopoles ne pouvaient se targuer de posséder. Je ne connaissais rien de cette portion de terre dévorée par la mer que les humains avaient sottement alloué aux Mages, mais quelle qu'idiote qu'ai été la décision d'offrir à des entités possiblement hostiles un point stratégique, force était de constater que les Mages avaient su en tirer parti magistralement, au point que si j'ignorais la topographie des docks, j'y retrouvais si bien l'origine que m'y perdre en devenait impossible, avec Gaïdan pour m'épauler là où les toits des hangars s'y dressaient trop haut pour que je trouve mes repères. Mais connaître ce type de lieu m'amenait à en connaître de même la population, et s'ils m'étaient utiles j'y savais les vide-goussets nombreux, à espérer que leur copinage avec les humains ne les aient pas rendus aussi stupides qu'eux. Deux Az et une jambe en moins avaient suffit à convaincre les tire-laines hantant l'arsenal de se tenir à distance, je n'attendais plus que la présence de cette fameuse Deleas pour achever de les maintenir à distance, alors qu'il aurait été malvenu de créer quelques remous dans les circonstances actuelles. Gaïdan scrutant les environs depuis la flèche dominant les hangars où reposaient carcasses et navire en cale sèche, j'attendais désormais d'avoir plus de nouvelles de ladite Deleas, me dressant adossé à un mur entre les portes imposantes de l'arsenal et l'établi rudimentaire d'un camelot, dont il ne me fallut pas plus de cinq minutes d'alpague me perçant les tympans pour me décider à le faire taire, à force de négociations prônant l'échange de toute nouvelle exclamation de sa part avec l'usage d'une fiole de poison à lui faire consommer sur place. A en juger par sa réaction, les Mages sont des êtres étonnamment réceptifs.

*Voilà qui promet si cette Anaya décide de montrer le bout de son nez.*

Passés hors de vue en nous engageant dans une ruelle adjacente à l'arsenal, je m'assurais d'un regard jeté aux alentours puis dans celui de l'étrangère qu'aucun manant par trop indiscret ou garde dont elle ne se serait défait ne se soit attardé à leur portée, Gaïda survolant la venelle en quête d'intrus. Suivant les contours du hangar, la rue ne laissait que peu de place pour s'y dissimuler, mais même si le tumulte de la chaussée parvenait jusque dans la ruelle, les hauts mur jusqu'à celui qui terminait la ruelle en impasse pouvaient cacher bien des curieux dont le nom qu'avait cité l'inconnue aurait suffit à retenir leur attention, à commencer par ces voleurs de bas étage que j'avais contraints à se tenir à distance. Me défaisant de la prise de la Mage, je passais d'un regard sur son accoutrement, par trop déplacé pensais-je pour ne pas douter de l'identité d'une interlocutrice qui se targuait d'être cette femme dont on m'avait dit qu'elle était pourtant accoutumée à errer dans une Efyioo qui me semblait bien trop instable politiquement pour qu'une dirigeante y évolua aussi peu subtilement.

*Il faut parfois de la brutalité pour promouvoir sa subtilité.*

"Il ne suffit pas de se draper de noir, moins encore au beau milieu du jour, Mage, pour pallier à toute suspicion. Si vous êtes bien celle que vous prétendez, rendez-moi mon billet. Ni moi ni la sehres que vous prétendez être n'a intérêt à ce que tout ceci soit éventé, aussi aurez vous eu la présence d'esprit de ne pas le laisser à la portée de tous apposé sur quelque volume d'arcanes trônant dans votre bureau."

Là où chaque instant apportait la possibilité d'être repéré par quelque mendiant en manque d'Az échangé contre une calomnie, je ne pouvais me permettre de sacrifier la confidentialité de cette opération à l'appel de l'empressement, et il en allait de même pour cette Inaya de ce que j'en savais.

"Plus que vôtre chaire, c'est vôtre tête que vous pourriez y perdre, Mage. Et voilà bien deux choses dont nous ne pourrions nous passer. Na via lerno victoria, mek'tet. Faîtes montre d'intelligence, ce sera déjà ça pour faire honneur à la réputation que vous revendiquez."

*Un mage qui pète plus haut que son cul, que c'est incongru.*

Je m'étonnais de ce que la Mage questionne ma prudence, là où ce fut elle-même qui me mena dans ce boyau à catins, d'où j'avais moi-même dû déloger quelques maraudeurs, qui auraient fait de cette venelle un sacré coupe-gorge, même pour cette garce, quoique lui souffle sa suffisance. Gaïda à ma suite, je n'avais d'autre choix que de m'engager dans les pas de ce qui semblait bien être la sehres Deleas, qui nous mena au gré des docks jusqu'au ponton où s'agitait sous les coups de la houle un, je devais bien l'admettre, magnifique bâtiment, dont le pavillon dansant au gré du vent de concert avec la familiarité que semblait entretenir la Mage envers la disposition des ponts et locaux m'invita avant qu'elle ne me l'avoue que le navire lui appartenait bien. Mes dernières aventures sur l'un de ces bâtiments me semblant bien lointain, j'eus toutefois une pensée pour feu mon capitaine, estimant la valeur de la rapine que rapporterait la prise d'un tel vaisseau, alors qu'au gré de nos pas nous ne rencontrâmes aucun marin, ceux-ci sans doute à terre. Parvenus dans les quartiers du capitaine, je n'accordais en premier lieu mon attention qu'à Gaïda, que j'attirais d'un sifflement, pour en revenir à la Mage Noire, cette charmante promenade n'ayant aidé à mettre au clair l'affaire nous ayant réunis.

"J'ai besoin d'accéder à votre académie, et à l'une de vos élèves. Je suis convaincu que votre bibliothèque recèle un ouvrage mal avisé de mettre entre toutes les mains, et qu'une Mage Noire de votre cercle doit être placée sous ma protection. Vous pouvez rejeter ces problèmes comme n'étant pas les vôtres, mais vous tomberez dès lors dans l'erreur. Votre popularité va décroissante parmi certaines de vos hères, et l'émergence de nouveaux fanatismes au sein de votre école est loin de vous être bénéfique, tout comme à moi. Sur de nombreux points, nos intérêts se rejoignent, dès lors voici mon offre: vous me permettez d'interagir à ma convenance avec les cercles au sein votre école, et en retour je fais en sorte que vous ne finissiez déchue et tuée par vos propres acolytes."

Cette proposition reposait sur bien peu d'éléments concrets, il est vrai, mais ayant déjà été dans sa position, je ne pouvais que constater avec d'autant plus plus d'expérience la délicatesse de sa situation. Une épée de Damoclès pendant au-dessus de sa tête, je ne pouvais rester les bras croisés, et libre hélas de tout engagement, même envers la sehres Deleas, sa vie étant irrémédiablement liée à celle de Charlotte.

"Que cela nous plaise ou non, nous avons tous deux intérêt à faire taire des voix mettant en péril que ce soit ma mission ou votre jolie petite tête, Mage."